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  • Isabelle

Quetzal

Dernière mise à jour : 2 sept. 2022



Quetzal portait le nom du mythique dieu vénéré par son peuple. Elle possédait le 3e œil et était une chamane respectée. Intermédiaire entre les dieux cosmiques de la terre, du ciel et de l’eau, et les êtres humains, la chamane était le lien indispensable pour aider à résoudre les problèmes qui survenaient au quotidien. Soignant les corps et les âmes depuis son initiation, Quetzal ne l’avait jamais regretté. C’était sa mission. Elle avait été choisie pour sa grande sensibilité qui lui permettait depuis son plus jeune âge de communiquer dans ses rêves avec les esprits de la nature. Outre ses talents de voyance, elle avait appris à connaitre les plantes guérisseuses et les rituels sacrés.


Aider les hommes, les femmes, les enfants ainsi que les animaux en souffrance lui procurait une immense satisfaction, mais ce qu’elle appréciait par-dessus tout, c’était de se connecter avec les esprits supérieurs. À leur contact, elle mesurait le gouffre qui la séparait des connaissances de l’infini cosmique, toutefois leur bienveillance et leur amour la confortaient dans son désir d’atteindre leur sagesse. À chaque fois, elle appréciait le privilège de pouvoir leur parler, les voir et recevoir leur enseignement.


La plupart des gens de son peuple percevaient à peine leur présence tout en sachant intuitivement que la vie était un miracle, œuvre de créateurs bien plus puissants que leurs capacités limitées. Chaque jour ils en avaient la preuve en levant les yeux devant l’ordonnancement des astres dans les cieux, en observant autour d’eux le foisonnement du règne animal ou végétal ou en accueillant la pluie et la lumière du soleil, vecteurs d’abondance. Tout portait la marque du divin !


Un jour, alors qu’elle allait à la rencontre des esprits, Quetzal vit dans son rêve une étrange créature qui voguait sur les flots de l’eau profonde. Elle s’échoua sur une côte sablonneuse et se mit à vomir des animaux inconnus et des hommes effrayants, couverts de poils hirsutes et revêtus de carapaces brillantes. La vision s’effaça pour laissait place au Grand Jaguar qui mit en garde la chamane :

- Les tiens sont en danger. Leur fin arrive par-delà les eaux profondes !


Le sang de la jeune femme se glaça. Jamais elle n’avait reçu un tel message.

- Grand Jaguar, demanda-t-elle avec crainte. Que puis-je faire pour protéger mon peuple?

- Tel la grande vague, le fléau est en marche. Tel la grande vague, il va tout engloutir sur son passage !


La chamane sentit le désespoir la submerger.

- Alors pourquoi me montrer ce qui va arriver si je ne peux rien faire pour l’éviter ?

L’animal sacré ferma ses yeux dorés avant de les rouvrir pour les plonger dans le regard sombre de Quetzal.

- Tu es la gardienne d’un savoir ancestral. Tu dois l’enseigner pour qu’il soit transmis et qu’il traverse les âges à venir. Tel une graine profondément enfouie dans la terre qui germera dès que les conditions seront propices, les connaissances sacrées s’épanouiront le moment venu.


La colère fit place au désespoir et le sang de la petite femme à la peau cuivrée se mit à bouillir.

- Tu me dis que je dois sauver les connaissances et laisser les miens périr ?

- Le mouvement de l’Univers est constitué de cycles que rien ne peut arrêter. Tenter de les stopper est comme vouloir interrompre le cours d’une rivière : elle finit toujours par s’écouler pour aller se mêler aux eaux profondes.


Quetzal comprenait le sens de ces paroles, mais son cœur les refusait. Des larmes amères coulaient sur ses joues, intarissables.


Le Grand Jaguar feula doucement.

- La mémoire de la connaissance est votre bien le plus précieux et ce sera le plus difficile à conserver. Ta mission est capitale pour l’éveil des consciences futures.


La chamane savait qu’elle n’avait pas le choix. Les dieux ne lui mentaient jamais. Ces évènements étaient inéluctables ! Les semaines qui suivirent furent pour Quetzal comme si elle avançait dans la brume. Devait-elle avertir son peuple sans pouvoir proposer de solution ? Devait-elle taire ce qu’elle savait et assister au désastre sans rien faire ? Sa conscience la torturait.


Un matin, alors qu’elle n’avait pas réussi à trouver le repos au cours de la nuit, un oiseau quetzal vint se poser sur une branche surplombant sa hutte. L’oiseau sacré représentant le dieu Quetzalcóatl tourna vers elle un œil brillant d’intelligence.


La chamane l’interpella.

- Que dois-je faire ? Dis-le-moi, toi qui possèdes la connaissance du monde.


Aussitôt, elle entra en transe et entendit le dieu lui parler par l’intermédiaire de l’oiseau au plumage chatoyant.

- Ta tâche t’a été dictée. Elle est d’une importance dont tu ne mesures pas l’ampleur. Laisse aux prêtres la charge d’informer ton peuple. Tu l’aideras à ta manière. Ces hommes qui arrivent ne sont pas tous mauvais, tu le découvriras.


La jeune femme comprit enfin. Elle sut qu’elle était partie intégrante d’un tout et que chacun y participait à sa manière et à la mesure de ses capacités. Cette révélation lui ôta le poids qui pesait dans sa poitrine, acceptant son destin et celui de son peuple.


Quand les premiers étrangers arrivèrent, Quetzal avait formé nombre de jeunes chamanes, s’assurant de la sorte que sa parole se diffuserait par-delà les générations. Elle leur apprit également à se méfier de ces nouveaux venus et à garder secrète la sagesse des esprits. Bien lui en pris !


Ces hommes avaient emmené avec eux leur dieu unique, intolérant et vengeur, un dieu despotique qui ne tolérait aucun autre dieu à ses côtés. Quetzal évitait ces nouveaux venus autant que possible, se réfugiant dans la jungle protectrice.


Un jour pourtant, l’un d’entre eux qui s’était hasardé trop avant au milieu des arbres, avait réussi à se perdre. Elle l’avait entendu arriver, bruyant et maladroit sur ce terrain accidenté et boueux. Il finit par s’affaler entre des racines géantes qui formaient un semblant d’abri protecteur. La chamane l’observait discrètement, décidée à ne pas se montrer. Suant à grosses gouttes sous sa lourde carapace de métal, il semblait fourbu et assoiffé. Pourquoi cet idiot s’était-il aventuré seul jusqu’ici ? se demanda-t-elle. Chassant aussitôt ces pensées, elle reparti silencieusement quand elle fut stoppée net par des cris, d’abord de douleur et de surprise, puis de colère qui se teintèrent vite de peur. Levant les yeux au ciel, Quetzal sut qu’elle ne pourrait pas le laisser livré à son sort. Le dieux se jouaient d’elle !


Miguel en était encore à essayer de tuer le serpent qui l’avait mordu et dont la queue venait de disparaitre sous la dense végétation quand surgit devant lui une indienne au visage impénétrable. Elle gesticulait en lui donnant des ordres incompréhensibles d’un ton autoritaire. Il finit par saisir qu’elle voulait qu’il retire son armure. D’abord interdit, il obtempéra, trop effrayé pour résister à l’injonction. La femme l’inspecta de la tête aux pieds avant de fixer son attention sur sa cheville d’où perlaient quelques gouttes de sang et qui commençait à enfler en changeant de couleur.


Quetzal lui signifia de rester tranquille et s’éclipsa avant de revenir peu de temps après afin de soigner la blessure. Elle ne voulait pas l’emmener jusqu’à sa hutte, mais dut s’y résigner en voyant l’état du blessé se dégrader rapidement.


Obligés de cohabiter le temps que Miguel se rétablisse, le conquistador et la chamane communiquaient avec peine, Quetzal se montrant distante et méfiante. Miguel s’interrogeait sur cette femme qui vivait seule, loin des siens, dans cette jungle hostile et impénétrable. D’ailleurs, il ne comprenait rien à ces gens et leurs coutumes étranges.


Quetzal voyait l’étranger régulièrement marmonner en serrant dans ses mains jointes une espèce de grossière croix en bois. La chamane devina qu’il communiquait avec son dieu ce qui éveilla son intérêt. Que pouvait-il bien lui enseigner ? Peut-être qu’en connaissant un peu mieux cet étranger, elle pourrait mieux connaître son dieu, ce qui l’aiderait à mener à bien sa mission ? Voire à déjouer les funestes projets de ces envahisseurs ? C’est ainsi que Quetzal entreprit d’apprendre le langage de Miguel et fit tout pour le garder le plus longtemps possible auprès d’elle.


Une relation insolite, mêlée de défiance et de curiosité, s’installa entre l’homme et la femme. Ils étaient si différents. Paradoxalement, cette différence commença à les rapprocher. Ils voyaient en l’autre ce qui faisait sa beauté, extérieure comme intérieure, ce qui finit par se transformer par un sentiment qu’ils se refusaient à nommer.


En y réfléchissant, Quetzal était horrifiée par ce qu’elle ressentait. Il n’était pas question pour elle de succomber à celui qui allait décimer son peuple. Les dieux se jouaient d’elle, elle en était consciente. Miguel, lui, était tombé sous le charme de cette jeune femme au visage sans âge et qui, il le sentait, partageait ses émotions.


Toutefois la chamane parvint à accepter cet amour après un songe que lui envoya le dieu Quetzalcóatl. C’était une vision du futur dans lequel les peuples coexistaient en paix et n’en formaient plus qu’un. Les différence ne devaient pas diviser mais devenir une richesse et qu’il était préférable d’apprendre par l’amour que par la guerre.


Anne Progin /24.07.2022

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